C’était mon premier Espéranzah , il n’y avait pas de meilleur lieu de retrouvailles pour revoir un ami que je n’avais vu que deux ou trois fois en deux ans pour cause d’années sabbatiques avec leur lot de distances géographiques. Espé est le seul endroit où je me suis sentie totalement à l’aise de ne porter qu’une seule boucle d’oreille trouvée dans des buissons.
Ailleurs, avoir cet attrape-rêve pendu à mon lobe gauche ou droit-je ne sais plus- aurait fait grave beauf mais pas à Espé. J’aimais juste voir autant de gens joyeux à la minute et au mètre carrés, qu’il gèle, qu’il pleuvine ou qu’il fasse grand soleil. Avec sa nourriture du monde et ses concerts aux airs d’ailleurs, on pouvait faire notre week-end sabbatique ensemble cette fois-ci.
C’est la dégustation alléchante de burgers aux grillons qui aura remis une distance entre mon ami et moi. J’étais intriguée par le plateau découverte , il était écoeuré rien qu’à l’idée de bouffer des insectes. Moi, les insectes, c’est bien la seule viande que je mange.
Au Congo, mes deux grands-mères savent qu’il suffit de me cuisiner un plat de chenilles pour amadouer mon estomac. Je n’ai jamais compris le dégoût des gens et la gradation qu’on fait, qui fictivement légitime qu’on mange une viande et pas une autre. On mange des agneaux mais pas des chatons et pourtant c’est tout aussi mignon !
On mange du porc et des poules qui mangent quand même tout et n’importe quoi, y compris la merde mais on est dégoûtés par des grillons et des vers. Soit, qu’à cela ne tienne, j’ai craqué pour le mini burger aux grillons et vous savez quoi ? C’était vachement bon.
Moi, quand il n’y aura plus que ça à manger- si , si j’aime les scénarios catastrophes de la fin du monde- je survivrai alors que tous ces faux esthètes qui font la fine bouche, devront se contenter de damer de la Bourrache du matin au soir.
Mais justement, en fait, est-ce qu’on pourra un jour totalement remplacer la viande, le poisson et la volaille par un régime alimentaire digne de Timon et Pumba ? À voir…j’ai contacté Bugs in Mugs pour éclaircir certaines choses. Le contact était assez drôle : un petit message sur Facebook puis un rendez-vous fixé…sur whatsapp. Je me suis tout de suite dit que je kifferais la conversation.
Où, avec qui et comment commence l’aventure ?
Vous allez être déçue, c’était une idée de fin de soirée en regardant un reportage au sujet de l’entomophagie sur Arte. Ma compagne de l’époque était au chômage et voilà. Le foodtruck nous semblait plus simple pour faire un test.
L’entomophagie ?
Oui, le fait de manger des insectes.
Ah ok ! (Mais oui ! L’entomophagie , suis-je bête!). Combien de temps ça a pris de mettre ça en œuvre ? Ils ont quelle réaction quand vous dites que vous vous lancez dans cette aventure, est-ce qu’ils y croient ?
On s’y est mis en Novembre 2012 ou 2013 et on s’est laissé huit mois, on voulait être prêts pour fin août 2013. Alors il fallait trouver les fournisseurs, établir le plan financier. Tout était sur fonds propres parce qu’on a fait un crowdfunding qui n’a pas fonctionné. On a fait de la pub à la radio, des dégustations, deux ou trois marchés bio pour se lancer. On a été bien aidés par Villages partenaires. Ça a décollé assez rapidement.
Je devine que l’homme prend une pause à l’extérieur en entendant le bruit si familier d’un briquet à roulette, c’est le même que celui d’un claquement de doigts raté.
Quelle type de clientèle vous visez/ charmez ? Comment on donne envie aux gens de manger des insectes, sont-ils réticents ? Vous avez des fidèles ?
Ça a fort évolué…notre clientèle-type ce sont quand même les festivaliers d’Esperanzah car ils sont concernés par l’écologie. Notre public-cible est plutôt assez jeune, entre 25 et 40 ans. La première année, 50% du travail c’était de discuter avec les gens, de les informer. Maintenant les gens posent moins de questions qu’avant parce qu’il y a plus d’infos dans les médias, il y a vraiment eu une évolution.
Vous aviez fait de la restauration avant ?
Non, pas du tout ! Ma copine était styliste et moi j’ai eu une formation de scientifique.
On a voulu passer le jury central de restaurateur mais on s’est lancés à l’arrache, aidés par des cuisiniers et on a appris sur le tas. Pour l’instant, on ne fait plus les burgers nous-mêmes, ça demande un local spécifique et de respecter des normes strictes, ça demandait un grand investissement en argent et en temps.
Bientôt un restaurant ?
Oui, cessé le foodtruck quelques temps pour se consacrer à notre brasserie. On arrête les marchés et on ne gardera que les festivals qui fonctionnent.
Oh une brasserie ? Où ça ?
A Liège (rue de la Madeleine 33, 4000 Liège) . On y est revenus pour des raisons familiales.
Comment on s’approvisionne en insectes ? Où on va, d’où viennent-ils ? Quel est leur voyage jusqu’à nos assiettes ?
On pourrait se fournir en Asie pour le prix mais alors on ne contrôle pas la façon dont ils sont élevés et nourris puis on devrait les faire venir par avion…Ici, les élevages se développent peu à peu. En Belgique, il y a Little Food qui est un fournisseur. Nous, on va en Hollande pour se retrouver au niveau des prix.
Les grillons sont nourris de façon bio et avec des déchets d’autres industries (résidus de pressage d’huile de lin et de tournesol)1. La matière première est de qualité, les prix sont encore élevés mais si la demande augmente, ils diminueront.
Quelle est la philosophie, l’envie derrière cette initiative ? Marketing ou véritable profession de foi ?
Non, c’est vraiment pour les valeurs éthiques et écologiques que ça véhicule.
Est-ce qu’on ne va pas retomber dans les mêmes travers que ceux qu’on connaît avec l’industrie de la viande, du poisson et de la volaille ? Vous croyez à une industrie de l’insecte ?
Non, même si on fait ça en plus grosse quantité
les avantages écologiques restent :ça consomme peu d’eau, ça prend moins de place pour un rendement supérieur. Pour la nourriture ça dépend des insectes : graminées, fruits et légumes
(pour les criquets). Les autres insectes sont des omnivores : ils mangent des végétaux et des animaux mais on fait gaffe. En Asie, ils les nourrissent avec des déchets de poissons et on ne sait pas contrôler. Il faut un environnement stable et un taux d’humidité élevé. Puis ça ça fonctionne selon les principes de l’économie circulaire: tous les déchets générés par l’entreprise retournent dans l’entreprise, ce type d’élevage le permet.
Et à long terme ? Est-ce que c’est pertinent, viable ?
Quand on discute avec les gens, on parle d’alternative :les insectes ne sont pas une solution en soi.
Manger de la viande ou des choses comme ça, pas de soucis mais c’est l’excès le souci !
Depuis les années ’70-’80, la consommation de viande a explosé car après la guerre, les gens avaient plus d’argent. On prône plus une alimentation variée, nous.
Êtes-vous un écolo convaincu ? Comment vous définiriez-vous ? Est-ce que vous avez toujours été un « vert » ?
Je ne suis pas un extrémiste. Définir un écolo… c’est quelqu’un qui va prendre conscience qu’il peut faire des efforts dans son alimentation, réduire ses trajets en voiture, faire son petit compost, faire des efforts au quotidien. Après tu peux vivre dans une yourte, avec vélo, avec ton bois mas tu peux aussi être écolo sans vivre de façon drastique.
Quelle est votre vision d’une ville plus verte ?
Améliorer les espaces. Mais les potagers en ville, j’y crois moyen : en termes de place et de nombre d’habitants ça demande beaucoup de moyens, il faut que la ville s’y mette.
Le gros souci est la circulation, c’est pour ça qu’on a quitté Bruxelles : on devait toujours prendre la voiture pour faire nos courses chez nos fournisseurs. Avant on faisait du pied, c’est plus simple de tout faire à pied, ou à vélo. Donc une ville plus verte…éliminer la voiture !
Vous êtes les seuls à faire ça ?
Nous sommes les seuls ambulants à temps plein. Il y en a d’autres mais ils font plus cinq ou six gros festivals par an. Ce n’est pas une recherche de rentabilité mais de publicité. Nous, on doit être rentables car c’est notre gagne-pain.
De qui se compose votre équipe ?
On travaille en couple. La famille a beaucoup aidé, pour la brasserie on sera trois : nous et un chef cuistot.
Si vous deviez vous décrire ?
Ouverts, investis, éthiques. On n’essaye pas de convaincre, d’avoir des arguments. Quand on discute avec des vegan ou des végétariens, on est est très ouverts aux idées, aux suggestions.
Dernière petite question, est-ce que c’est facile de travailler en couple ?
La première année ça a été compliqué de travailler ensemble, on avait tendance à s’engueuler, il faut trouver un bon équilibre mais c’est pas gagné. On connaît des gens dans la même situation qui ont du changer de partenaire de travail. C’est difficile de séparer vie privée et vie professionnelle. Par contre ça aide dans les conversations, on peut aller plus vite à l’essentiel sans prendre de pincettes.
Le réseau (téléphonique) nous faisait parfois des misères (oui, Liège, c’est la province) mais il a eu la gentillesse de répéter plusieurs fois la même chose. Après 45 minutes de conversation, on se dit aurevoir. C’est dommage de ne pas savoir retranscrire les voix, il se dégageait de ce monsieur une sorte de détachement et de simplicité. C’était pas un anarchiste du compost quoi, prêt à casser Bruxelles, damnation polluée. J’étais assez surprise, je l’avais imaginé autrement. Rendez vous dans leur nouveau restaurant : rue de la Madeleine 33, 4000 Liège, de quoi égayer nos papill..ons. D’accord, c’était vraiment un jeu de mots, pourri !